105.
Assise au fond de la salle, Norma Breen écoutait les conclusions de la défense en mâchonnant un Rolaid à l’orange. Elle détenait un secret, une vraie bombe, et se mordait la langue pour ne pas le dévoiler.
« De quoi faire annuler le procès. À moins qu’en dépit de tous les éléments à charge Maggie ne soit acquittée. Les jurés comprendront peut-être qu’elle a tué parce qu’elle n’avait pas le choix et profiteront d’un détail de procédure pour lui rendre la liberté. Ou alors, ils la condamneront à la plus légère des peines prévues par la loi. Et, pendant que j’y suis, Mel Gibson va peut-être me demander de sortir avec lui parce que mon gros cul l’excite. On peut toujours rêver, non ? »
Norma avait décidé qu’il valait mieux attendre le verdict.
Et tandis que Nathan Bailford réfutait les thèses de l’accusation, une étincelle d’espoir jaillit dans son cœur. « Cette femme est une femme bien, se dit-elle, et elle mérite qu’on la ménage. Agis en fonction de ta conscience. »
Au début de sa dernière intervention, Nathan s’était attaché à réorienter le procès en interprétant les faits de manière succincte, laissant à Norma l’impression que Maggie était la victime et Will le meurtrier.
Mais l’avocat de la défense ne pouvait changer la réalité :
Will était mort et Maggie vivante. Pas plus qu’il ne pouvait répondre à une autre question d’importance : qui avait tué Will, si ce n’était pas Maggie ?
Le substitut se leva et balaya immédiatement les arguments de Nathan, qu’il assimilait à un écran de fumée. Un meurtre restait un meurtre, et jouer sur les mots ne servirait à rien. Un meurtre avait été commis, avec la vengeance pour mobile. Et puisque Maggie avait pris l’arme et l’avait emportée en toute connaissance de cause dans la chambre de Jennie, il s’agissait d’un meurtre avec préméditation qu’il fallait sanctionner en condamnant l’inculpée à la peine maximale prévue par la loi : la réclusion criminelle à perpétuité.
« Et pourtant, songea Norma, malgré les apparences, nous n’avons cessé de faire fausse route. »
Elle ne parvenait pas à échapper au sentiment de malaise qui la rongeait depuis le début. Maggie n’avait pas tué Will Shepherd, elle en était convaincue. Will s’était vraisemblablement suicidé. Selon Maggie, et même Palmer, il avait plusieurs fois menacé de mettre fin à ses jours au cours des dernières années. Et Maggie était la victime de son ultime et terrible vengeance.
Si Maggie avait accepté de témoigner, peut-être un mobile aurait-il été mis au jour, mais Norma avait dû se ranger à l’avis de Nathan et de Barry, qui tous deux estimaient ce système de défense dangereux. Maggie n’aurait pu, en effet, que confirmer les déclarations qu’elle avait faites à la police, à savoir qu’elle ne savait pas vraiment ce qui s’était passé et qu’elle avait peut-être tué Will. Il ne s’en était cependant pas fallu de beaucoup et Norma reconsidérait à présent tous les arguments présentés par la défense. Tous, sans exception.
Louable intention, mais un peu tardive. Nathan Bailford acheva son intervention et retourna s’asseoir, le geste lourd de lassitude.
Au bout de quarante-six jours, le rideau tombait enfin.
Il était quasiment impossible de déchiffrer le regard des jurés, mais Norma devina qu’ils allaient déclarer Maggie Bradford coupable de meurtre.
« Le feu d’artifice va pouvoir commencer », se dit-elle.